Page d'accueil Introduction Galeries Essais Média English version

Amour de la complexité

Guy Levrier

26 août 2010

Pour voir mes toiles illustrant la complexité, veuillez cliquer ici et ici

" L'amour de la complexité sans réductionnisme donne l'art ; L'amour de la complexité avec réductionnisme donne la science. "
Consilience, The Unity of Knowledge. Edward O. Wilson. Alfred A. Knopf, New York, 1998. cf. p.54. ISBN 0-679-45077-7.

L'amour de la complexité ! Comment ose-t-on ? Cette fameuse complexité qui nous fait tant souffrir, faut-il vraiment qu'il y ait quelque ardente obligation à relever le défi d'une si impérieuse nécessité ? En tant qu'artiste peintre, je la ressens comme responsable de l'irruption de l'abstraction dans mon art, véritable saut quantique qui remet tout en question, au point que je ne fais plus confiance à ma raison, et que je ne puis plus consulter que mes impressions pour orienter ma démarche. Or, dans la mesure où l'impression est l'état d'ensemble de la conscience, présentant un ton affectif caractéristique qui répond à une action extérieure, s'opposant ainsi à la réflexion et au jugement fondé sur une analyse, j'obtiens une justification confortable de cet amour.

Action extérieure, soit, mais de quelle provenance ? " Les autres ", peut-être, en tant qu'être humain vivant en société ? Certes oui, mais aussi, à titre très personnel, le Cosmos, dont je ressens très fortement l'influence, comme je l'ai évoqué par ailleurs. Le big bang est le lieu de convergence où se négocient de plus en plus les éléments de la justification à la fois religieuse et scientifique de la création, " autour de la 127ème décimale ", dit le chercheur. Depuis cet événement, le processus de création s'est caractérisé par une vertigineuse montée en complexité, pour aboutir ... à l'homme. Ô joie ! Comment ne pas aimer cette complexité à laquelle nous devons tant ?

Quand je trace les premières lignes sur une toile, je n'ai pas la moindre idée de ce qui va se passer, des sinuosités auxquelles elles vont se livrer pour aboutir à quel point de destination et à quelle figure. Ensuite, un temps de pose est nécessaire pour se mettre en état de recevoir interactivement une orientation, un mouvement, une sensation, une évaluation de ce que j'ai perçu au départ comme l'effet du hasard, mais qui doit se mesurer à l'échelle de mes valeurs.

Nous sommes alors dans une situation de parfaite et profonde simplicité : c'est la naissance d'un état d'âme, qui bientôt va m'inciter à agir, à continuer. C'est aussi le lieu de naissance immédiat de la complexité : dans un parcours apparemment erratique, les lignes se rejoignent, se chevauchent, foisonnent tout en se densifiant de plus en plus, m'interrogent sur mes choix d'orientations, de formes, de couleurs, de texture, de matière. Ces lignes me semblent alors chercher à se correspondre, à se nouer et se dénouer, à se combattre, même, et à me présenter quelque chose qui devient de plus en plus complexe et qui, à ma grande stupéfaction, m'interpelle.

Ainsi, cette complexité, non voulue en soi pour toute raison injustifiable, naît spontanément, s'auto-génère au fur et à mesure que l'acte de création s'accomplit. Cela s'impose à moi, et il me serait totalement impossible de m'y opposer, sous peine de perdre ma source. Elle est parfaitement naturelle, et de ce fait, elle est aimable. Vous pouvez suivre ce long cheminement en consultant mes catalogues figurant dans l'introduction, depuis les fleurs que j'ai peintes en 1972, jusqu'à mes dernières œuvres abstraites, très complexes. Et surtout, grâce aux innovations technologiques que nous avons la joie d'exploiter dans notre vécu culturel, vous pourrez rechercher la beauté partout où elle se trouve, selon vos préférences en orientations et niveaux de grossissement, en vous promenant dans la pâte de mes toiles.

Nous nous situons donc ici résolument à l'opposé de tout exercice pseudo-intellectuel de " complexité pour la complexité ", d'obscurantisme provocateur, dont la sanction est immédiatement la perte de sens. Je m'interroge donc, précisément, sur la part qui me revient dans cet acte, finalement si chargé de mystère. Sa présence dans la complexité suscite ma curiosité, moteur de la recherche artistique et scientifique. J'ai une certitude, cependant, c'est que je ne suis pas totalement l'auteur de l'œuvre. Tout au plus, complice dans son exécution. Cette genèse de la complexité serait, en somme, la genèse de la complicité. On est toujours complice de ... Mais surtout, si je veux poursuivre, je dois porter tout une série de jugements de valeur, chemin faisant, qui sont du domaine de l'émotionnel, de l'affect. C'est fondamental : la complexité de mes neurones va devoir me servir d'outil pour interagir avec la complexité de mon œuvre.

Face à l'extrême difficulté de la tâche, beaucoup d'artistes angoissés ont eu recours à toutes les échappatoires artificielles connues, alors que l'on doit pouvoir atteindre à la sérénité gratifiante propre à l'acte de création.

La métaphore est le point de départ commun à l'artiste et au savant dans leurs travaux de création pour le premier et de recherche pour le second. Si l'artiste souhaite trouver un enrichissement ontologique de son champ d'investigation créative, au service de l'Etre, le chercheur va lui apporter, en complémentarité, une immense richesse de connaissances lui permettant d'explorer l'univers avec toutes ses virtualités, et donc des éléments partiels de réponse à la question " pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ". L'artiste y répond par l'action, par son travail, qui justifie son existence. J'agis, donc, je suis.

Page d'accueil